IL N'Y A QUE NOS SILENCES QUI NOUS APPARTIENNENT, NOS PAROLES ET NOS ECRITS APPARTIENNENT AUX AUTRES.


mercredi 6 octobre 2010

HAITI :Qui est YVON SIMEON ?

Économiste de formation, Yvon Siméon, est sans doute le plus « africain » des membres du gouvernement de transition formé par le Premier ministre Gérard Latortue.

Il a vécu dans de nombreux pays d'Afrique centrale, notamment au Gabon, où il a contribué à la création de l'Université de Libreville, mais aussi dans ce qui s'appelait alors le Zaïre et au Cameroun.

Yvon Siméon a également exercé dans la diplomatie de son pays. Il a ainsi représenté Haïti auprès de l'Union européenne et du royaume de Belgique. Proche d'Aristide au début des années 1990, il s'en était vite éloigné, au point de devenir l'un des opposants les plus irréductibles à son régime.

Après sa démission du gouvernement de transtion il a été nommé ambassdeur en Italie où il a été élu vice-président de LILA et ambassadeur au Bénin.


Yvon Siméon,
homme intègre, déterminé a sortir son pays de l'impasse où il se trouve a décidé de rompre le silence et de s'exprimer.

Au-delà d' un constat lucide et sans concession il livre dans cette déclaration ses propositions pour l'avenir d'Haïti.

Yvon Simeon est actuellement a Paris.

HAITI ultimes propositions d'Yvon SIMEON

Propositions ultimes

par Yvon Siméon

Le 12 janvier 2010, un séisme d’une grande magnitude a dévasté la République d’Haïti et détruit plusieurs de ses grandes agglomérations, dont Port-Au-Prince, la capitale. Les dégâts sont considérables : près de trois cent mille victimes et presque autant de blessés, plus d’un million cinq cent mille personnes déplacées, errant dans les campagnes ou sous des tentes de fortune.

La conséquence la plus visible de ce désastre est un indescriptible chaos. L’existence même du gouvernement, symbolisée par le continuum de son pouvoir régalien sur l’ensemble du territoire est, de facto, annihilée. Les haïtiens sont encore aussi désemparés qu’au premier jour.

En réalité, le tremblement a seulement joué un rôle de révélateur aggravant d’une situation préexistante. Le pays était déjà complètement bloqué depuis de nombreuses années, à travers le dysfonctionnement de ses institutions : appareil étatique- gouvernement administrations… Bien avant le cataclysme, elles étaient déjà à la dérive, désaccordées, maintenues facticement debout grâce à la présence des neuf mille hommes de la MINUSTAH, force d’intervention de l’ONU.

Beaucoup d’éléments peuvent expliquer la longévité historique d’un tel phénomène. La nation était devenue, au fil du temps, la juxtaposition de plusieurs entités auxquelles les gouvernements successifs n’ont jamais été soucieux d’accorder la moindre cohérence pour, dans une unité nationale patiemment construite, créer une synergie collective, orientée vers le développement économique et social.
Car Haïti représente une exception dans les Amériques, un pays spécifique, une mosaïque à nette prédominance africaine. Ce n’est pas par hasard si la manifestation culturelle organisée par l’UNESCO à Paris le 8 juin 2010 a été intitulée : « HAITI, une révolution africaine en Amérique Latine et dans les Caraïbes ».

Mais la spécificité haïtienne ne s’arrête pas là. En deux cent six ans , cette portion d’île est devenue un monstre macrocéphale, hyper centré sur sa capitale, Port-Au-Prince, où toutes les activités se retrouvent agglutinées. De ce fait, le reste du pays s’est progressivement anémié. Sous administré, il est complètement dépourvu d’infrastructures publiques. L’intégration nationale n’a pas été réalisée. Il existe très peu de liaisons modernes entre les communautés locales disséminées sur le territoire.

Atteinte de gigantisme accéléré, la capitale a fini par se révéler ingérable. Elle comptait deux cent cinquante mille habitants en 1960, près de trois millions en 2010 avec des infrastructures qui n’ont pas suivi le même rythme de progression. Ainsi s’explique en grande partie la paralysie qui a suivi le séisme. Quand la capitale et plusieurs autres agglomérations urbaines secondaires ont été complètement dévastées, le reste du pays ne pouvait plus continuer à vivre et à fonctionner normalement.

Bien pis, cette périphérie, déjà elle même privée d’infrastructures adéquates, n’avait pas les moyens de réagir et de porter secours au centre. Les campagnes ont subi de plein fouet le contrecoup de ce désastre. Elles sont encore sous le choc et n’étaient pas préparées à gérer cet afflux de populations complètement sinistrées. D’où des problèmes de tous ordres, insolubles à leur niveau : nourritures- voiries- salubrité publique- sécurité.

Une telle situation ne pouvait qu’accélérer la désagrégation d’un ensemble national fragile, traversé par des antagonismes plus ou moins violents. Son unité de façade cachait en réalité une très profonde fêlure qui aurait du être depuis longtemps circonscrite et résorbée. Le phénomène était pourtant déjà perceptible à divers signes, notamment cette dichotomie sournoise, pernicieuse, de plus en plus marquée , entre l’Etat et la Nation, à travers leurs composantes respectives, mais si curieusement imbriquées.

Une analyse approfondie montre de façon évidente, au moins cinq types de malentendus ou d’oppositions majeurs entre ces dernières, même si leurs modes d’expression, plus ou moins camouflés, se manifestent de façon discrète au niveau de la vie nationale officielle. Cela crée une situation paradoxale délicate à gérer.

Nous pouvons observer :

1er constat paradoxal

Un ETAT faible, gérant des institutions publiques, politiques inadaptées, dont l’inefficacité fragilise ceux-là même qui en ont la charge :
* Un gouvernement dépourvu de véritable légitimité populaire
* Des partis politiques squelettiques, en rupture flagrante avec la population censée représenter leur électorat. Ils s’opposent d’ailleurs entre eux dans des affrontements verbaux interminables et une navrante absence de doctrine ou de vision clairement exprimées. Les rares exceptions observables ne font que confirmer la règle. Elles sont d’ailleurs coursées, attaquées de toutes parts.
* Une société civile sans cohésion véritable où prédominent les lois d’une débrouillardise surannée, en décalage avec son environnement moderne. C’est une sorte de jungle impitoyable qui étonne les observateurs.

Presque face à l’ état, UNE NATION forte, raffermie par le sentiment d’appartenance de ses populations, leur patriotisme ombrageux, exacerbé par une impression d’injustice, consécutive au traitement irrespectueux que leur inflige la communauté internationale.

2ème constat paradoxal :

Opposition larvée entre les centres urbains symbolisés par la capitale, Port-Au-Prince, et le monde rural incarné surtout par la paysannerie. Celle ci a toujours été marginalisée, du triple point de vue politique, économique et social. Il y a méfiance réciproque entre ces deux composantes, pourtant complémentaires, à l’intérieur d’un ensemble national unitaire et centralisé. Leurs types d’activités, leur mode de vie sont dissemblables :

-Les centres urbains sont plus cosmopolites, plus ouverts sur l’extérieur ; alors que 90% du monde paysan est d’origine africaine, coupés de toute modernité.
Depuis plus de deux cents ans, cette majorité incontournable a maintenu, quasiment intactes, les traditions et les pratiques culturelles venues de l’Afrique ancestrale, dans tous les aspects de sa vie quotidienne :
* Culture populaire fixant une fois pour tout son schéma de pensée, sa propre vision du monde, dont la pérennisation s’accomplit par la transmission orale. L’oralité devient ici, au sens initiatique du mot, facteur de soudure et d’homogénéité du groupe social ; car elle rend captive la mémoire historique par delà l’océan, et conforte le sentiment d’appartenance.
* L’ensemble est concrétisé par une organisation adaptée de l’univers national habitable et cultivable.
Les habitats urbains ou ruraux traduisent, dans leur grande majorité, une occupation quasi rituelle de l’espace, entraînant, par voies de conséquences :

.Des modes particuliers, de tenure de la terre et les types de production qui l’accompagnent.

Ils aboutissent à des réseaux économiques traditionnels , à travers les « Lakou », lieux historiques de transmission d’un savoir à facettes multiples, venu de l’Afrique trop lointaine.
Avec le temps, le Droit Civil haïtien, façonné par le Code Napoléon, a du subir, sous la pression de ces réalités, des modifications substantielles destinées à prendre en compte des particularismes incontournables.
Cette opposition persistante mais discrète entre les agglomérations urbaines, sièges du pouvoir politique et le monde rural, berceau de l’africanité, nous a valu des drames sanglants dans le passé. Les révoltes paysannes ont souvent été violentes, et suivies de terribles répressions. Chaque fois que ces traditions, dont les masses des campagnes se sont toujours considérées, consciemment ou pas, comme les dépositaires et les garantes, ont été mises en danger, des jacqueries ont éclaté.
Dans le même temps, nous sommes aussi des latino-américains et des antillais, à l’intérieur d’un ensemble complexe, multipolaire, qui n’a pas encore totalement cédé la place à la mondialisation.
3ème constat d’opposition paradoxale
De même, la méfiance règne entre les gouvernements successifs et les partis politiques, d’ ailleurs restés atrophiés depuis longtemps. Ils sont numériquement faibles et se méfient les uns des autres. Ils n’ont jamais pu s’unir pour réaliser une action positive durable, même s’ils se donnent des noms évocateurs de regroupement unitaire, comme : « Plateforme, Coordination, Rassemblement- Unité… »
Chacun a cru pouvoir berner les autres et finalement s’imposer par la ruse ou la force. Aussi, leurs rencontres ou discussions n’ont jamais rien apporté de concret, parce que trop remplies d’arrière-pensées.
Le phénomène s’est amplifié au cours de ces dernières années. Car des forces disparates se sont constituées en groupes de pression très puissants au niveau national et même au sein d’organismes internationaux oeuvrant en Haïti. Elles se sont pratiquement emparé des leviers de commande qui, partout dans le monde, ont toujours garanti l’autorité de l’état. Les institutions de la République ont été ainsi parasitées, vassalisées au profit d’intérêts privés. D’où cette confusion générale permettant de justifier que l’avenir de ce pays soit pensé, présenté, en passe d’être mis en chantier,en dehors du peuple haïtien, infantilisé jusqu’à être outrageusement considéré comme aussi irresponsable qu’un mineur.

. Une corruption triomphante, ouverte, dénoncée dans toutes les instances internationales, mais tolérée, discrédite l’ensemble de la nation et lui enlève le droit de fonctionner sans tutelle. En Haïti maintenant les prises de position sur les problèmes nationaux les plus graves sont monnayées publiquement contre espèces sonnantes et trébuchantes. Elles se révèlent souvent contradictoires d’un jour à l’autre, jusqu’à devenir inintelligibles. En corrompant ouvertement la plupart des responsables d’organismes politiques, économiques, sociaux, et en faisant ainsi virevolter leurs dirigeants, on a fini par déconsidérer les institutions nationales aux yeux de la population. Celle-ci se détourne des activités citoyennes et ne répond plus aux mots d’ordre de ses leaders naturels.

Ces groupes de pression, érigés en véritable état dans l’état, ont tellement bien atteint leur but que la scène politique aujourd’hui est complètement disloquée, véritable champ de ruines d’où n’émerge aucun leadership affirmé.

4ème constat d’opposition paradoxale :

La société civile n’est pas plus unie :
a) Antagonismes et méfiance affichés entre les chefs religieux : catholiques- protestants, animistes et vaudouisants.

b) Rivalités de plus en plus ouvertes entre industriels, commerçants, ouvriers et syndicats, parce que chacune des parties de cet ensemble est elle-même trop politisée pour se montrer désintéressée.

c) Les intellectuels, les médias et directeurs d’opinions vivent désormais, pour la plupart, en vase clos, obéissant aux lois de l’argent roi, de l’autocensure. Dans un silence assourdissant, quand ce n’est pas avec des mots complices, ils cheminent solitaires en dehors de toute démarche collective. Parfois même ils défendent l’inacceptable.
Beaucoup de nos écrivains ont un talent indéniable internationalement reconnu. Mais si presque tous évoquent souvent l’horreur, trop peu se risquent à en dénoncer les responsables, comme tétanisés, repliés dans un enfermement schizophrénique avoisinant la déprime. Le désespoir n’est pas loin. Ils donnent l’impression d’avoir jeté l’éponge, abandonnant leur rôle de conscience naturelle de cette nation à la dérive. On les fait voyager beaucoup, pour les consoler ou les occuper ailleurs…Les élites sont fatiguées. Elles se sont repliées du champ de bataille ou se sont couchées.

5ème constat paradoxal :

Malentendu prolongé, incompréhensible entre Haïti et sa diaspora. Celle-ci est très active, très dynamique à l’extérieur. Elle entend préserver ses racines ; mais n’a jamais eu l’opportunité de jouer le rôle moteur qu’elle a toujours souhaité assumer dans le développement économique et social du pays.
Toutes ces oppositions apparemment inexplicables, toutes ces palinodies, ne sont pas demeurées sans conséquences. Les différentes entités, de plus en plus affaiblies, qui forment après tout la nation haïtienne se neutralisent mutuellement. Elles tirent à hue et à dia, donnent l’impression de tourner en rond, sans but lisible, dans la plus totale confusion. Ce jeu est désastreux. Il a fini par rendre ingouvernable ce pays trop déchiré, dont la faiblesse désormais impossible à maquiller, le livre sans défense aux manoeuvres dolosives d’aventuriers internationaux de tous poils. Leurs alliés les plus impitoyables sont haïtiens. Le ver est dans le fruit depuis longtemps.

Le tremblement de terre du 12 janvier est donc venu interrompre, dans l’horreur, ces comportements suicidaires. Les conséquences en sont nombreuses :

1) Par l’ampleur des dégâts provoqués, le séisme a dramatisé davantage une situation déjà bien alarmante, en y ajoutant l’extrême urgence. Il est devenu absolument pressant de proposer dans l’immédiat une solution adéquate, cernant au plus près les réalités politiques, économiques, culturelles et sociales de ce pays.

2) Cette catastrophe naturelle a rendu brusquement plus impérative, au niveau national d’abord, mais pas seulement, l’urgente nécessité d’un consensus minimum et d’une concertation générale, en vue de conjurer le spectre d’un naufrage collectif.

3) Ce tremblement de terre désastreux est venu imposer l’obligation de Refonder la Nation puis de Reconstruire l’Etat, en profitant concrètement de cet élan planétaire de solidarité. Il convient de maintenir celui-ci jusqu’à l’exécution d’un projet national cohérent, rationnel et durable. Jamais les haïtiens n’ont autant magnifié la valeur de cette devise inscrite sur le drapeau national : « L’union fait la force ». Tentative désespérée d’exorciser par la méthode Coué cette débandade nationale, alors qu’ils n’ont jamais été aussi divisés.

4) Mais la plus grande leçon découlant du séisme est qu’il ne faut pas reconstruire à l’identique, en répétant les erreurs du passé. Car cela reconduirait, in fine, aux mêmes échecs.

Voici donc venu le moment où la partie saine de la nation peut enfin « reprendre la main ».Personne ne peut maintenant se poser en donneur de leçon. Je revendique ma part de responsabilité dans ce désastre national, soit par pusillanimité, soit par insuffisance d’engagement personnel. Mais ce n’est pas encore le temps des autocritiques ou des mises en accusation, c’est celui de l’action positive.

Depuis la catastrophe, plusieurs réunions internationales ont eu lieu sous l’égide d’organismes divers. Mais les deux plus importantes ont été mises en œuvre par les bailleurs de fonds internationaux, au siège de l’ONU, le 31 mars 2010 et en République Dominicaine, le 2 juin écoulé. Plusieurs milliards de dollars ont été prévus sur dix ans pour cette reconstruction. Mais toutes ces réunions présentent un caractère incomplet, parcellaire. A chaque fois l’on reste sur sa faim, car elles donnent l’impression de ne vouloir s’en tenir qu’à la reconstruction physique, architecturale et immobilière du pays ; par à coup, en fonction d’inspirations personnelles ou des brusques accès de solidarité de généreux donateurs.

A la conférence des bailleurs de fonds tenue le 31 mars à New York, un plan officiel de reconstruction d’Haïti a été présenté. D’autres projets officieux, plus ou moins sérieux, ont vu le jour. Mais aucun de ces plans n’a pris en compte la spécificité haïtienne qu’il serait primordial de sauvegarder ou de corriger, à travers les vœux particuliers du pays profond.

Bien pis, aucun des auteurs du plan officiel de reconstruction de New York (31 mars 2010) n’a pris la peine de consulter les différentes composantes de la nation haïtienne, tenues à distance pour la circonstance.

Les concepteurs internationaux de ce programme, élaboré pour être exécuté sur au moins dix ans, n’ont donc pas l’intention d’intégrer à leur document, un projet national haïtien, qui serait le reflet de notre propre vision du monde, de notre vécu au quotidien, de ce que nous considérons comme essentiel à notre identité de peuple soucieux de vivre ensemble uni et solidaire.

Les populations d’Haïti sont tenues pour quantités négligeables. Elles sont pourtant censées être les bénéficiaires ultimes de ce plan officiel dont elles doivent, en principe, contribuer à la mise en œuvre.

Dans ce détail, considéré par l’ONU comme anodin, réside le vice rédhibitoire qui rend l’échec inéluctable si l’erreur n’est pas corrigée.

Pour réaliser la Reconstruction d’Haïti, il faut nécessairement tenir compte de tous les paramètres déjà évoqués, parce qu’ils résument en définitive l’âme même de ce peuple martyr, pacifique, mais capable des plus étonnantes résistances et des formes les plus subtiles de rébellion. L’aspect uniquement matériel du problème, le nombre de milliards récoltés, ne suffiront pas à garantir le succès d’une entreprise qui ne serait pas intégrée, mise en harmonie fusionnelle avec l’inconscient collectif haïtien.

L’erreur de départ a été d’attendre que les seuls responsables officiels donnent le signal d’initiatives d’union nationale pour affronter les problèmes de la Reconstruction, alors que cette entreprise fort complexe est l’affaire de tous.

Or, neuf mois après le séisme, 40% des victimes sont encore sous les décombres. Les autres ont été enterrées au bulldozer dans des fosses communes situées en dehors des agglomérations, sans aucun décompte, sans aucune identification préalables. En cette fin de septembre 2010 il est devenu bien évident qu’aucune initiative rassembleuse et de portée nationale ne doit être espérée des seuls gouvernants. D’autant plus que, pour compliquer davantage la situation, un processus électoral a été lancé. C’est pourtant une affaire très sérieuse, vitale même pour la démocratie et le progrès de notre patrie. Mais le contexte est désastreux, dans un pays dévasté, dont on ne se soucie même pas de dénombrer les vivants et les morts, de les identifier, ni d’ailleurs de connaître leurs domiciles respectifs ou leurs dernières demeures.

Le pays réel ne peut apparemment plus arrêter, sans violence, ce mécanisme certainement trop prématuré. Mais il peut encore, en le contournant, sauver la Nation. Nous pouvons encore, par une démarche de rassemblement consensuel, construire le socle inébranlable, le mur de soutènement qui doit porter l’édifice national dans l’avenir.

Dans le contexte de l’après séisme, les élections représentent une étape incontournable pour la démocratie et le progrès d’Haïti. Mais, ne nous y trompons pas ; elles ne sont plus une démarche prioritaire, ni même à elles seules la solution du problème. En réalité elles ne peuvent être qu’un aboutissement, dont la réalisation satisfaisante est conditionnée par l’obtention d’un consensus national, d’une Réconciliation de la société haïtienne avec elle même. Avant même de procéder à des élections ou alors simultanément, si l’on ne peut pas faire autrement, il faut discuter, débattre entre nous, faire le point, définir, par concertation, la manière dont le peuple haïtien entend Refonder l’Etat et la Nation. Le dialogue et le consensus aboutiront à l’expression d’une vision commune, d’une volonté nationale solidaire. Ces deux démarches convergentes auront la vertu d’extraire la Reconstruction du bourbier exclusivement politique et de la confusion où elle s’enlise, pour recueillir les vœux, puis l’adhésion du pays réel.

. Il faut que la société civile, au sens le plus large du terme, s’empare de la question pour s’exprimer, au nom du peuple haïtien, sur la Refondation, considérée à partir des points de vue technique, architectural, urbanistique, mais également économique, social et culturel. Elle doit prendre les choses en mains, lancer les initiatives destinées à sauver la nation de l’anéantissement. Il faut que les hommes, groupements et associations de ce pays se dressent pour sonner le tocsin ; d’abord en vue de signaler l’ampleur du malheur qui nous accable ; ensuite pour identifier, répertorier ensemble les points de consensus qui existent déjà au sein de la société haïtienne ; enfin pour indiquer les voies et moyens permettant de conjurer les périls qui menacent l’existence même de notre patrie commune.

Les deux démarches (concertation et élections) ne sont pas antinomiques. Elles sont complémentaires dans l’accomplissement réussi de ce premier acte Refondateur. .

Certaines données sont des évidences unanimement reconnues et partagées par l’ensemble de la population d’Haïti :

1) Nécessité de Refondation et besoin d’adhésion à une communauté nationale plus juste et plus fraternelle.

2) Application d’une véritable décentralisation pour opérer un rééquilibrage régional et national, dans une perspective de développement durable.

Tout le monde reconnaît la nécessité d’un réaménagement du territoire pour réussir une réelle politique d’intégration économique et sociale, où toutes les catégories sociales seront prises en compte, se sentiront concernées, responsables.

3) Modernisation de l’agriculture pour la rendre plus performante, plus compétitive, pour atteindre enfin l’autosuffisance alimentaire.

4) Libre jeu des institutions nationales dans le respect de la constitution et des lois de la République : Education-Santé-Autonomie universitaire-Indépendance et qualité de la justice-Professionalisme de la Police et Sécurité etc.…

5) La prise en compte rationnelle des risques naturels et leur gestion future, multiforme, pour sauvegarder l’environnement
Etablissement de structure de prévention et d’intervention rapide.

6) Réalisation d’élections transparentes, crédibles, qui permettra l’installation d’une vraie démocratie. C’est la condition de la stabilité politique, d’une entrée dans la modernité et d’un retour à la souveraineté nationale.

7) Pardessus tout, une évaluation méthodique, à travers le monde, de la diaspora haïtienne, de ses potentialités, pour mieux définir son rôle dans la nouvelle Haïti et pendant la reconstruction.

8) Enfin le relevé le plus complet possible des comportements qui rendent impossible la réalisation de tels objectifs, notamment cette corruption tentaculaire qui pollue tous les niveaux de la vie nationale. De même, l’arbitraire, le non respect de la Constitution et des lois de le République.

Cette liste est très loin d’être exhaustive. Ce sera aux acteurs du dialogue national de réaliser cet inventaire- répertoire. Nous sommes cependant dans un pays ravagé par un désastre naturel, alors qu’il était déjà profondément divisé, presque au bord de la guerre civile.

Il est donc évident que nous n’avons pas à notre disposition sur le territoire national les moyens de réaliser de telles démarches. Il nous faudra par conséquent trouver une aide désintéressée venant d’alliés naturels, fidèles, situés en dehors d’Haïti.
A cette étape de notre cheminement, nous avons été conduits à nous poser deux questions fondamentales :

I) Qui, dans la communauté internationale, peut aider notre peuple à réaliser un tel dialogue entre haïtiens, en suscitant l’unanimité, l’enthousiasme, les moyens divers indispensables à sa réussite ?

II) Qui pouvons nous désigner, à l’intérieur d’Haïti, pour maintenir cette unanimité, organiser une telle réunion et la conduire jusqu’à son terme ?

Après avoir soupesé tous ces éléments, j’ai décidé d’agir, persuadé que chaque patriote doit, à sa place, à son niveau, apporter sa pierre à l’édifice. J’étais certain de détenir un carnet d’adresses suffisamment étoffé, et de jouir encore d’un modeste crédit d’estime dans certains milieux influents du monde. C’est pourquoi j’ai discrètement pris mon bâton de pèlerin au service de ma patrie. L’essentiel, dans une initiative de cette nature, est de frapper aux bonnes portes, à travers des réseaux d’amitiés fiables, et de sélectionner, à l’intérieur de la communauté internationale, ceux qui, tout naturellement, sont disposés à réserver à nos problèmes une compréhension fraternelle, efficace, et dans la dignité. Ceux là auront à coeur de nous aider en fonction des normes que nous aurons nous-mêmes établies.

La réponse à la première question est donc simple :

peut provoquer une telle réunion nationale, celui qui n’éveillera aucune méfiance des forces en présence sur le terrain. En clair celui qui pourra obtenir la confiance unanime des haïtiens, sans pour autant heurter la susceptibilité des décideurs internationaux oeuvrant en Haïti.

Tout observateur, attentif à la mentalité, aux traditions et à l’évolution historique du peuple haïtien comprendra que seul le continent africain, à l’exclusion de tout autre acteur potentiel, peut satisfaire à cette condition primordiale. Car il est seul à conserver tout naturellement une légitimité aux yeux de l’ensemble des haïtiens. Ceux-ci ont toujours considéré, leur population comme un rameau brutalement arraché au grand arbre de l’Afrique. De plus les éléments objectifs d’analyse montrent qu’un chef d’état africain ne peut nourrir des ambitions d’hégémonie ou un intérêt personnel dans quelque domaine, à quelque niveau que ce soit en Haïti. Son intervention, sera donc toujours perçue par notre peuple comme désintéressée. C’est là un atout majeur.

Haïti conserve beaucoup d’amis dans le monde. Mais dans la conjoncture actuelle, c’est du continent africain que peut venir l’aide décisive pour la Refondation et la Reconstruction.L’Afrique a souvent été traversée par des conflits ouverts très violents, qui ont fini par être résolus au fil du temps. Certains acteurs de ces conflits sont encore présents et peuvent nous apporter leur expérience dans ce domaine. Les traditions africaines maîtrisent mieux que nous l’art du palabre, de la conciliation et des compromis. Cela peut nous aider concrètement.

Les pays africains n’ont pas autant de milliards à déverser en Haïti pour la Reconstruction. Ils peuvent cependant nous être aussi utiles que les autres, en nous aidant à dialoguer entre nous pour retrouver notre cohérence identitaire, pour exprimer clairement nos vrais besoins .

C’est un niveau plus modeste financièrement, mais placé au point névralgique où l’impact peut se révéler décisif. Une telle aide n’est pas évaluable en argent. Elle nous permettra cependant de fabriquer la clé qui ouvre la porte et le ciment qui, en liant les cœurs et les bonnes volontés, facilitera la Reconstruction de l’édifice national. Ce ciment là s’appelle dialogue, concertation, solidarité, sentiment d’appartenance, dignité, bref une certaine idée de notre patrie commune et de ses liens avec ses racines.

Mon intuition de départ ne m’avait d’ailleurs pas trompé. Car tous mes interlocuteurs africains ont compris le sens de ma démarche. Souvent leurs propres pays sont passés par là. Mais ils m’ont tous posé la même question très simple :
Comment pouvons nous vous aider ? Que pouvons nous faire pour secourir concrètement votre pays dans ce désastre ? Mon embarras fut profond dans ces moments là. J’ai alors brusquement pris la mesure du vide général et du surréalisme de notre position.

Nous n’avons jusqu’ici rien de commun à proposer. Nous ne nous sommes jamais rassemblés pour nous concerter, pour identifier les vœux d’un peuple conscient de représenter, dans sa diversité, une nation, certes meurtrie, mais dont les fils, soudés par le malheur, sont encore farouchement décidés à fixer leurs propres balises sur les voies d’un renouveau collectivement conceptualisé.

Aurions nous donc déjà intégré dans notre subconscient une incapacité définitive à concevoir ensemble solidairement notre destin présent et futur ? C’est qu’en Haïti, les divisions commencent, après l’unanimité, dès que l’on passe à la phase du mode opératoire, donc de la concrétisation.

La conclusion que j’ai tirée de mes conversations africaines est qu’aux yeux du monde qui nous entoure et nous observe, la volonté de concertation de notre peuple existe déjà.

Elle est unanime, puisque nous avons déjà initié un dialogue…à distance. Plusieurs leaders politiques ou associatifs se sont déjà réunis, mais avec leurs sympathisants. Ils ont même chacun son plan qui, dans ses grandes lignes, n’est pas très différent de celui des autres. Arc-bouté à ses certitudes, chaque groupe invite les autres à se ranger sous sa bannière, pour exécuter dans les moindres détails son propre programme. Cela devient un dialogue de sourds.


Deux idées –force ont pourtant émergé de mes rencontres sur le continent africain. Elles sont systématiquement revenues comme un leitmotiv dans nos conversations, sous forme de suggestion :

1) La première recommandation est précisément de réunir une Conférence Nationale consultative de réconciliation et de propositions, où toutes les catégories de la nation présenteront leurs doléances, en vue de les harmoniser pour ne parler que d’une seule voix. Cela aurait la vertu de clarifier nos besoins, nos aspirations en tant que peuple, et guiderait ainsi tous ceux qui, fraternellement, veulent nous aider. C’est aussi la seule façon de mettre toute la nation en ordre de bataille pour progresser. . Nous ne pourrons jamais rien construire de durable sans ce minimum de consensus national et de réflexion sur notre avenir commun.

2) La deuxième recommandation est celle de prévoir, à l’intérieur des structures de la Reconstruction ; un Institut et un musée des civilisations africaines.
Ces deux propositions sont raisonnables et représentent deux aspects d’une même problématique identitaire.

En prodiguant ces deux conseils, mes interlocuteurs prêchaient à un converti, tout en rejoignant une aspiration quasi unanime de notre peuple .Ces hauts responsables africains et tous nos vrais amis dans le monde savent bien que l’on ne peut pas Refonder une société, Reconstruire pacifiquement une Nation sans réunir sa population et la consulter pour recueillir ses doléances et ses vœux. Ainsi je ne peux dès maintenant évoquer l’Union Africaine en sa qualité d’organisme régional supranational.

Mais je peux assurer ici que plusieurs chefs d’état africains actuels ou récents, plusieurs hautes personnalités du continent, m’ont personnellement donné l’assurance qu’ils sont disposés à nous accompagner dans nos démarches pacifiques de Rassemblement National, sans interférence dans notre vie politique. Ils sont prêts à nous aider à organiser une Conférence consultative Nationale de Réconciliation, dont les finalités seraient de définir les modalités de la Refondation et de la Reconstruction d’Haïti.

Mais cette concertation générale doit être totalement apolitique, inclusive par rapport aux représentants de toutes les différentes composantes de la nation :

Les pouvoirs publics (Exécutif- Législatif- Judiciaire) mais également Société civile, Clergés, Paysannerie, Syndicats, Industriels, Commerçants, Secteur informel, Ecrivains, Intellectuels, Associations, Partis Politiques, Universités, Professions libérales, Avocats, Médecins, Architectes et Ingénieurs, Sociologues, Economistes, Diaspora.
Cette liste est volontairement très longue et manifestement incomplète. De même, certains participants potentiels se retrouveraient intégrables dans plusieurs catégories à la fois. Mais l’essentiel pour réussir dans ce contexte dramatique, est le souci primordial de donner la parole à toutes les forces vives de la nation, de les consulter en profondeur pour obtenir leurs doléances, sans exclusive ni à priori. Alors on pourra définir avec elles ce qu’elles reconnaissent comme héritage inaliénable et vision commune à partager.

La preuve est désormais définitivement faite qu’aucun groupement d’intérêts, aucune catégorie sociale particulière ne pourra durablement s’imposer à l’ensemble de la nation, par la ruse ou par la force brutale, à partir de calculs partisans ou claniques.
Ce constat sans appel sonne également l’heure des compromis historiques. Bien sûr, pour Refonder il faut commencer par dialoguer, réparer les trames d’un tissu social mis en lambeaux par des malentendus successifs.

Mais, dans l’état actuel de la situation haïtienne, le temps presse.

La déchirure est tellement profonde que, pour réveiller les ardeurs, il faut désormais un électrochoc permettant de voir beaucoup plus grand qu’un simple arrangement courtois ou un dialogue conventionnel entre leaders politiques. Il faut convoquer la Nation en Assemblée générale de concertation où toutes les composantes du corps social pourront s’exprimer, le temps qu’il faudra. Dans ce lieu privilégié, toutes les cartes seront posées bien en évidence sur la table, sans arrière- pensées politiques, économiques, culturelles plus ou moins subtiles, sans tabou. Dans ce contexte de franchise absolue seront alors présentés sans fard, certains problèmes majeurs de la société haïtienne, avec la volonté unanime de leur trouver des solutions.

L’élargissement de notre champ de vision nous amène tout naturellement à la deuxième grande question :

Si l’initiative de la proposition et de l’accompagnement de cette Conférence Nationale vient d’Afrique, qui pourrait, à l’intérieur d’Haïti, assurer son prolongement pour organiser et conduire jusqu’à son terme un tel processus ? Qui peut prendre la tête d’une telle mobilisation fédératrice, pacifique, apolitique, tout en maintenant jusqu’au bout la cohésion, l’unanimité même, indispensables à sa réussite ?
La réponse est la même que pour la première interrogation :
Peut assumer cette responsabilité, celui qui n’éveillera aucune méfiance, aucun soupçon de partisannerie, d’arrière-pensées ou de manipulations au profit d’intérêts particuliers personnels ou claniques. Il doit être un oiseau rare, placé dans une position charnière de la société haïtienne, mais également habitué à porter sur ses larges épaules tous les malheurs du monde.

Dès le démarrage du processus, il sera, par la force des choses, pris dans un étau, face aux manœuvres des profiteurs nationaux. Ceux-là n’ont aucun intérêt à ce que les populations haïtiennes se parlent en frères, se concertent en toute sérénité.

Le maître d’œuvre de cette rencontre pourra également se retrouver en butte aux pressions de certains membres de la communauté internationale.

C’est pourquoi je suggère (c’est là une simple proposition) que nous fassions appel, en vue d’assumer cette responsabilité, à la Conférence Episcopale d’Haïti. Si elle accepte cette charge nationale et patriotique, qui est un sacrifice, elle amorcera sa descente dans la fosse aux lions .Elle devrait donc immédiatement contacter tous les acteurs de la vie nationale, en déterminant avec eux les modalités d’organisation d’un tel programme. Les promesses, déjà confirmées au niveau africain, seront alors concrètement activées. J’en prends le ferme engagement.

Après l’accomplissement rapide de cette démarche, c'est-à-dire la mise en contact opérationnelle, immédiate des parties concernées, j’estimerai que ma mission est accomplie. Alors je laisserai à ces hommes de bonne volonté le soin de faire l’histoire.

Je réitère ici que je suis un homme libre, mais patriote, complètement désintéressé, au service de mon pays. Je ne réclame aucune récompense et ne suis candidat à aucun poste. Je lance publiquement cette initiative et attends, « prêt pour le service. »

Je suggère cependant qu’une telle réunion soit inaugurée symboliquement sur le continent africain, pour lui donner encore plus de visibilité sur le plan international. Car, tant que l’Afrique sera publiquement à nos cotés, nous serons maintenus en pleine lumière. Et l’on ne pourra pas continuer à nous prendre en otage les yeux bandés, pour finalement, par petites touches successives, nous rayer de la carte des nations, comme certains en caressent l’envie.

Mais dès la fin de son inauguration, cette Conférence Nationale apolitique devrait être rapatriée en Haïti, pour accomplir sa tache domestique jusqu’au bout. Elle devra alors durer tout le temps nécessaire et ne pourra se terminer que par une synthèse globale qui servira de « feuille de route » aux gouvernements haïtiens futurs. Ceux-ci seront ainsi pris au piège d’une obligation à laquelle ils ne pourront pas se dérober. Car c’est au peuple haïtien tout entier, uni par un pacte national, qu’ils devront rendre compte, sous les yeux vigilants du continent africain et de la communauté internationale.

Si, pour une raison quelconque, les hommes d’église et de paix ne peuvent pas assumer cette mission historique, je garde la conviction que la société haïtienne saura trouver d’autres groupes de citoyens assez homogènes et incontestés pour remplir les conditions adéquates et combler nos espérances. Alors le processus pourra débuter comme exposé ci-dessus.

Nous n’avons pas d’autre choix si nous voulons qu’Haïti survive en tant que nation.

Aucun « Plan de Reconstruction », aucune élection crédible ne pourra se dérouler dans un pays aussi fragmenté. Avant de reconstruire il faut rassembler les morceaux de ce « puzzle » social. Il faut renforcer ensemble, après inventaire, les fondations même de la société, de l’état, de la Nation.

Après tout, le continent africain a le droit, au même titre que tout pays ami, de nous interroger sur la meilleure façon de nous aider. Ce faisant, il ne défie personne et n’empêche quiconque de nous fournir une aide, qui est d’ailleurs indispensable, et sera toujours la bienvenue. Mais c’est à nous de tirer intelligemment profit de leurs bonnes dispositions à notre égard, sans pour autant exposer nos alliés naturels à des bras de fer inutiles contre des forces obscures.

Beaucoup se sont précipités en Haïti sans nous demander notre autorisation ou même notre avis. Ils ne nous informent même pas sur ce qu’ils ont l’intention d’entreprendre dans notre propre pays. En revanche, d’autres se sont mobilisés spontanément pour se mettre à notre service, venir à notre secours, souvent avec efficacité. Aujourd’hui encore ils continuent sur le terrain cette œuvre de solidarité, supportant avec notre peuple son fardeau de souffrances et de misères. Nous les remercions du plus profond de nous-mêmes.

Notre reconnaissance envers eux demeurera éternelle. Mais à cette étape particulière de notre vie nationale, seule l’Afrique peut nous fournir efficacement l’adjuvant, le dernier petit coup de pouce indispensable, décisif, qui permettra un nouveau départ vers des résultats durables.

En lançant un appel officiel et public à ce grand rassemblement apolitique, pacifique et national, les organisateurs désignés devront bien sûr avoir conscience des difficultés, des luttes qui les attendent. Mais en assumant cette démarche patriotique, ils doivent aussi comprendre qu’ils se donneront par là les moyens de réaliser, dans l’intérêt de leur patrie, plusieurs objectifs fondamentaux :

1) Cette initiative permettra de tester la bonne foi des uns et des autres sur le double plan national et international.
Ceux qui se déclareront contre sa concrétisation doivent donner des raisons crédibles pour convaincre le peuple haïtien de sa nocivité, et qu’ils ont eux mêmes trouvé mieux. Personne ne pourra dire en tout cas, après cette invitation, qu’il n’avait jamais eu la possibilité de s’exprimer sur ce problème, de proposer des voies salutaires pour l’avenir de notre pays. Car ce forum sera ouvert à tous dans ce but.
Bien sûr, les neuf millions d’haïtiens ne pourront se présenter à cette Conférence pour y débattre. Mais chacun de nous appartient à une catégorie socio- professionnelle, politique, économique particulière, qui peut se faire représenter. Et les propositions de ce délégué seront le résultat de discussions à l’intérieur de son groupe social. Chaque participant éventuel sera donc finalement le porte parole d’une catégorie de la population, dont il aura recueilli les suggestions.

Ainsi ce forum finira par être le lieu de synthèse, d’harmonisation, de doléances réelles tirées du quotidien national, qui sont en train de nourrir tant de frustrations porteuses de haine et de violence. En permettant la formulation des aspirations légitimes de tout un peuple, ce forum jouera le rôle de soupape évitant l’explosion, de thérapie collective, en même temps que de laboratoire d’idées constructives.

Les moyens technologiques modernes sont tels que la synthèse de l’ensemble pourra s’effectuer bien facilement en fin de parcours. De semblables démarches ont déjà été réalisées avec succès dans plusieurs pays africains, avec des résultats positifs qui ont dépassé les prévisions de départ. Elles ont permis de solutionner des situations politiques et sociales inextricables ou de prévenir des conflits potentiellement violents

Ainsi une telle expérience démocratique a été acceptée, encadrée, organisée, pendant leur présidence, par quatre chefs d’état africains.

-- S.E Joseph Mobutu, président de la République du Zaïre, devenue R.D.C. (République Démocratique du Congo – Kinshasa)
-- S.E Omar Bongo, président de la République du Gabon
-- S.E Mathieu Kérékou, à l’époque président de la République du Bénin
-- S.E Denis Sassou Nguesso, président de la République du Congo (Brazzaville).C’est actuellement le seul chef d’état du continent, ayant accompli cette action démocratique, et encore en fonction.


2) Une conférence nationale, apolitique, inclusive, organisée dans les circonstances actuelles et de cette façon là, facilitera la réussite des opérations officielles en cours en Haïti ; mais en leur adjoignant publiquement les compléments correcteurs conditionnant leur réussite. Cette concertation générale ne représentera donc pas un obstacle ou une action concurrente par rapport aux trois principaux programmes entrepris par les instances nationales et internationales sur notre territoire :
-- CIRH (Commission Intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti)
--Document de New York (mars 2010), qu’il est indispensable et vital de compléter.
-- Processus électoral, très contesté.

Si nous y ajoutons la Conférence consultative, nous pouvons affirmer que les quatre démarches, bien quelles soient de nature différente, sont complémentaires et indissolublement liées. Entre elles, seul l’ordre de préséance doit être établi avec clairvoyance et minutie. L’idéal serait d’exécuter ces programmes successivement ; puisque la solution de chacun faciliterait celle de l’étape suivante. Mais si les circonstances sont contraignantes, nous serons obligés de les réaliser simultanément, parallèlement, pour des raisons d’efficacité.

Huit mois après le séisme, la CIRH n’est toujours pas complètement constituée. Personne ne sait réellement ce qu’elle compte faire. Ses brèves réunions sont des rencontres symboliques et mondaines. En tout état de cause, sans un rassemblement consensuel de toute la nation, la CIRH ne sera jamais en mesure d’enrayer le processus de dislocation des structures sociales et le chaos généralisé qui en résulte.

Quant aux opérations électorales, elles traînent en longueur, silencieuses, imprévisibles, opaques

3) De même la décision de donner à la totalité des forces vives de la nation l’opportunité de débattre entre elles sur la Reconstruction nationale ne s’oppose pas au document programmatique de New York (31 mars 2010). Les concepteurs de ce plan ont intérêt à saisir l’opportunité que représente cette Conférence pour s’y présenter et y diffuser leurs propositions. Elles y feront l’objet de questionnements. Cette réunion apolitique, mais aussi très technique dans sa partie la plus importante leur servira de vecteur de vulgarisation et d’information en direction du peuple haïtien. A cette occasion ce texte aura l’avantage d’être comparé, confronté à d’autres projets très intéressants.

Beaucoup de techniciens nationaux et des groupes de travail divers ont élaborés des plans ou des programmes de grande qualité. Ce sera l’occasion pour eux de présenter au public leurs travaux et d’en démontrer la valeur. Tout le monde a mesuré l’ampleur des frustrations qui les ont accablés. Car ils avaient l’impression de prêcher dans le désert et d’être marginalisés par des forces plus ou moins occultes, dont la connaissance du pays réel reste à démontrer


Les autres concepteurs pourront ainsi, dans ce lieu d’échanges où se dérouleront débats d’idées et visions sociétales, présenter en toute indépendance leurs points de vue, défendre le bien-fondé de leurs approches globales. Alors ils pourront non pas imposer leur avis, mais convaincre. La diffusion des schémas organisationnels par des présentations publiques et collectives est gage de transparence et de régularité. Les manœuvres frauduleuses contre les peuples ne peuvent prospérer que dans l’obscurité.

Lorsqu’à l’occasion de cette rencontre nationale, toutes les propositions auront été prises en compte par l’ensemble de la collectivité, et qu’une synthèse consensuelle aura été trouvée, toutes les couches sociales se sentiront concernées par ce document définitif. Elles se l’approprieront parce que elles en auront été parties prenantes. Pour cette raison, elles veilleront à sa concrétisation.
Une conférence générale menée dans cet esprit là, rendra désormais possible, en tout cas plus crédible, le processus électoral engagé. Les vainqueurs auront d’emblée une légitimité que personne ne contestera. Parce qu’elle sera le fruit d’une action préalablement concertée, d’une œuvre nationale collectivement assumée.

L’essentiel est que l’ensemble soit accompagné d’un calendrier d’exécution rigoureux, assorti d’un relevé complet des voies et moyens nécessaire à l’exécution des tâches prévues par le document définitif. Tandis que le suivi des différentes phases d’application se fera sous contrôle permanent des instances haïtiennes et internationales. Ce sera là « un pacte national », « la feuille de route » qui doit moralement s’imposer aux futurs personnels dirigeants comme un corset, un garde fou.

C’est après l’accomplissement de telles démarches et seulement après, que la Reconstruction proprement dite pourra débuter ; pas avant ! Le temps presse donc. Tout peut cependant aller très vite si la volonté, l’enthousiasme, sont au rendez vous. Mais si nous brûlons ou évitons ces étapes indispensables, l’échec nous attend au bout du chemin. Et nous serons condamnés à revivre les mêmes déboires. Nous avons déjà connu dans le passé, dans un contexte il est vrai moins dramatique et démesuré, de grands programmes mirobolants, donc l’échec prévisible, annoncé, finalement consommé, permet de mieux expliquer nos malheurs actuels.
Si cette tentative de la dernière chance, était repoussée, rejetée, ne laissant le champ libre qu’au document de New York (31 mars2010) tacitement adopté par la CIRH et imposé à la Nation, la crise sera relancée. Et ce programme, infligé au peuple sans concertation préalable, échouera dans sa phase d’exécution, quel que soit le nombre de milliards mobilisées en sa faveur.

Souhaitons que, pour une fois en Haïti, la sagesse l’emporte sur les ambitions personnelles et la folie des hommes.


Yvon Siméon