IL N'Y A QUE NOS SILENCES QUI NOUS APPARTIENNENT, NOS PAROLES ET NOS ECRITS APPARTIENNENT AUX AUTRES.


mardi 31 janvier 2012

« Il faut sauver le soldat Wade..et le Sénégal ! » par Pierre SANE



« Il faut sauver le soldat Wade..et le Sénégal ! »

La candidature de la « star de la world music » Youssou Ndour à l’élection présidentielle du Sénégal a déclenché un véritable « buzz » médiatique international qui a paradoxalement fait l’impasse sur les enjeux de l’élection et surtout sur les menaces graves de conflits et de violences qui pèsent sur le pays à cette occasion. Le Sénégal court en effet le risque de basculer dans le chaos et la violence maintenant que le Conseil constitutionnel dont les 5 membres ont été nommés par le chef de l’Etat à validé, le 29 janvier , la candidature contestée du président sortant à un troisième mandat.

Au Sénégal, nous avons le privilège d’être gouvernés par un Président élu démocratiquement en mars 2000, le Président Abdoulaye Wade , mais, contrairement aux espérances de la jeunesse, il n’a jamais su faire preuve de l’élégance d’un Senghor, de la sagesse d’un Mandela ou de l’intelligence politique d’un Lula. Sa réélection en 2007 déjà avait fait l’objet de fortes contestations liées à la sincérité du scrutin mais plus grave il s’apprête à briguer un 3e mandat en violation de la Constitution.

Depuis son accession au pouvoir en 2000, il n’a jamais su s’élever et devenir un véritable homme d’Etat comme ses deux prédécesseurs. Au contraire, malgré - ou à cause de ? - son long parcours d’opposant, il est resté « politicien pur », chef de parti, rusé (le fameux « Ndiombor » (lièvre) de Senghor) et peu fiable. Il a développé par ailleurs un goût immodéré pour les ors du pouvoir avec pour seul horizon l’immédiateté. Il peine donc à incarner la République en construction dans notre pays, cette Res Publica que Montesquieu disait fondé sur les principes politiques de la vertu et de la frugalité.

Or, qui veut bâtir un futur meilleur doit changer le présent.

Mais notre Président s’acharne à prendre sa revanche sur le passé et surtout sur le Parti Socialiste Sénégalais auquel il s’est opposé pendant près de 30 ans. Alors que ce parti, depuis 12 ans dans l’opposition, a tourné la page, aidé en cela par le départ de ceux qui l’ont incarné au pouvoir et par l’arrivée de nouveaux militants mus par l’idéal de justice sociale et conscients que la mondialisation néolibérale agrémentée d’une corruption tous azimuts, prônée par notre Président, nous mène droit dans le mur ; il est, lui, resté pour sa part prisonnier des grilles de lecture du siècle dernier.

Il a décidé de s’éterniser au pouvoir en dépit de la Constitution qu’il a lui-même fait adopter en 2001 par référendum et de rester sourd face aux leçons de l’histoire récente de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Ou même de l’Afrique de l’Ouest avec les Présidents Alpha Konaré du Mali et Pedro Pires du Cap-Vert qui se sont pliés à la Constitution de leurs pays et ont quitté le pouvoir après leurs deux mandats.

Des enjeux tels que l’intérêt national, la paix sociale, ou l’image du pays à l’étranger ont cédé le pas a la pulsion pitoyable du maintien au pouvoir quoiqu’il en coûte. De mourir au pouvoir comme le Président Houphouët-Boigny a coûté à la Côte d’Ivoire 20 ans de troubles.

La paix que le Président Senghor avait réussi a maintenir au Sénégal en gérant habilement (à 74 ans) sa succession et sa démission, ou mieux encore le Président Abdou Diouf (à 65 ans) en remettant sereinement le

pouvoir à l’opposition victorieuse dans les urnes, cette paix est aujourd’hui dangereusement menacée car le Président Wade (à 86 ans au moins !) est prêt à installer le chaos, à réduire en cendres ses propres réalisations et son héritage pour continuer à « régner », même si cela devait être sur un tas de ruines.

Car, à supposer que son forcing réussisse, qu’il impose finalement sa candidature et qu’il gagne les élections grâce a la violence et à la fraude, comment peut-il envisager sans légitimité constitutionnelle et populaire de gouverner un pays qui sera divisé, qui sera tenaillé sous peu par les affres des effets de la crise mondiale, par la grogne sociale, la défiance des jeunes et des syndicats, l’intensification de la guerre en Casamance(dans le sud du pays), sans parler des luttes féroces de succession dans son propre camp ? A 90 ans ? Pathétique !

Mais n’ayant pas de plan B, comme il l’avoue lui-même, persuadé que son coup de poker menteur peut réussir parce qu’il contrôle l’administration, le Conseil Constitutionnel, l’armée et le Trésor public, il s’apprête à enfoncer le pays et la région dans un abîme d’où il faudra 20 ans pour se relever. Et tout cela pour installer son fils au pouvoir ?

Comment sortir de l’impasse ? Peut-on compter sur la sagesse d’un vieil homme qui s’est absous de tout semblant de dignité?

Que faire ?

« Celui-là est le plus puissant qui a tout pouvoir sur soi » (Sénèque Lettres XC). Malheureusement notre Président n’a pas lu Sénèque.

Il sait lui-même qu’il ne peut pas briguer de 3e mandat. Il l’a déclaré publiquement face a la presse internationale en 2007. Sauf à amender à nouveau la Constitution pour faire sauter le verrou de l’article 104 qui stipule que toutes les dispositions de la nouvelle Constitution, y compris la limitation à 2 mandats, sont applicables au Président en exercice . Un référendum lui serait défavorable, il le sait, lui qui essaya vainement de modifier à nouveau la Constitution en juin 2011 pour instaurer une élection présidentielle à un tour avec 25% des voix pour désigner le vainqueur. Lamentable!

Il s’abrite désormais, de manière foncièrement hypocrite, derrière la décision rendue par un Conseil Constitutionnel dont il a nommé les 5 membres et qu’il a comblé de ses faveurs .Ce Conseil a, le 29 janvier, tranché en faveur de la recevabilité de la candidature du Président Wade et comme pour ajouter à la provocation a invalidé celle de Youssou Ndour.La porte de tous les dangers est désormais grande ouverte.

Le pays tout entier retient son souffle, les menaces prolifèrent, les armes circulent, les « nervis »du parti au pouvoir s’agitent, les forces de sécurité ont été mises en état d’alerte. Tous les ingrédients sont réunis pour une explosion longtemps contenue face à la gabegie et l’incurie qui ont caractérisé les 12 ans d’un régime a bout de souffle et corrompu jusqu'à la moelle mais qui se cramponne à ses prébendes comme une huitre pourrie sur son rocher. Pitoyable !

Si on n’y prend garde, un nouveau foyer de tension risque de déstabiliser la région en cas de maintien de la candidature du chef de l’Etat sortant. Une seule alternative s’impose donc : Wade doit « dégager » !

Mais que peut-on lui proposer ? L’Académie française ? Il n’aura jamais l’envergure intellectuelle d’un Senghor. La Francophonie ou toute autre organisation internationale ? Un test a minima de gestion lui serait fatal.

L’impunité ? Les Sénégalais ne sauraient s’y résoudre. Le voir fomenter des troubles et en profiter pour reporter les élections ? Risqué mais peut être la seule voie de sortie s’il s’engage a ne pas se représenter. Autrement l’impasse est totale. Mais lui n’envisage pour l’instant comme solution que de tenter de s’imposer au pouvoir par le « bluff »et ce jusqu'à sa mort. Ce que les Sénégalais ne sont pas non plus prêts à entériner. Il est donc coincé et a choisi la fuite en avant mettant en péril le futur de la nation et de la région.

Dans Il faut sauver le soldat Ryan de Steven Spielberg, les soldats de la compagnie envoyés pour mener à terme cette mission se demandent si« la vie du soldat Ryan vaut celle risquée par ceux qui tentent de le retrouver » ? Quel sacrifice peut-on demander au peuple sénégalais pour sauver le soldat Wade et préserver la paix ? ... Surtout malgré lui ?

Que peut faire la communauté internationale des organismes, États, entreprises ONGs et citoyens confondus ?

J’en appelle ici à tous les amis du Sénégal afin qu’ils nous aident à préserver la paix au pays de la « Téranga » (hospitalité). La communauté internationale se doit de déployer d’urgence tous les mécanismes de la Diplomatie Préventive afin d’éviter une nouvelle crise violente en Afrique. Cela passe par la sensibilisation des opinions publiques, l’envoi sans tarder de missions internationales d’évaluation de médiation et de conciliation, le déploiement immédiat d’observateurs et l’accompagnement des personnes à risque. La pression étrangère doit continuer à s’exercer maintenant et en amont, de manière amicale mais ferme pour éviter la descente aux enfers.

Et cela tous les amis du Sénégal devraient s’y engager en exhortant le Président Wade à respecter la constitution en retirant sa candidature et à défaut à le tenir comptable des violences qui risquent d’endeuiller les familles sénégalaises et les hôtes étrangers qui vivent parmi nous. D’un autre coté, l’opposition et la société civile doivent être incitées à ne pas répondre à la provocation violente et à faire preuve de retenue. Ceci n’est pas un appel pour une intervention « musclée » de la communauté internationale .

Non. Il ne s’agira pas après coup de venir bombarder notre Palais Présidentiel pour en déloger le soldat Wade. Surtout pas. Car nous savons que in fine il nous appartiendra ici au Sénégal de trouver la solution et que la démocratie n’accouche jamais sans douleur.

Je tiens tout simplement à témoigner et à alerter l’opinion internationale de ce qui risque de se passer dans mon pays. Pour que nul ne puisse dire « je ne savais pas » et pour l’histoire. Cela étant, nous, ici, ferons notre propre histoire même si nous n’en avons pas choisi les déterminants et quoiqu’il nous en coûtera.

Ce que le Secrétaire Général du Parti Socialiste Sénégalais, Ousmane Tanor Dieng, a exprimé très clairement, avertissant qui veut l’entendre que : « Nous userons de notre droit inaliénable de résistance ».

Pierre Sané

Ancien Secrétaire général d’Amnesty International

Membre du Parti Socialiste Sénégalais et

Président d’Imagine Africa Institute

lundi 23 janvier 2012

EN SAVOIR PLUS SUR LE REJET DE LA DEMANDE D'EXTRADITION D' HISSEIN HABRE

Contribution De Maître Ciré Clédor LY, Avocat à la Cour

Suite à la dernière décision de la Chambre d’Accusation de la Cour d’Appel de Dakar constatant l’irrecevabilité de la demande d’extradition de Monsieur Hissein HABRE adressée au Sénégal, le Royaume de Belgique a publié dans des rédactions de la presse nationale et internationale un communiqué dont le but évident est de porter atteinte à la crédibilité du Sénégal.

Il est important d’attirer l’attention du public sur ces points précis de cette affaire :

1/ LE REJET DE LA DERNIERE DEMANDE D’EXTRADITION N’EST QUE JUSTICE

Dans leur dernier communiqué massivement publié, les autorités judiciaires Belges prétendent que le Sénégal n’aurait pas transmis à la Cour d’appel de Dakar les pièces requises en matière d’extradition. Il s’agit pour rappel du mandat d’arrêt international ainsi que de la loi applicable aux faits reprochés à Son Excellence le Président Hissein Habré.

Le Royaume de Belgique a ainsi cherché à masquer ses propres carences et son manque de respect manifeste envers un Etat souverain, essayant de faire croire à l’opinion publique que le Sénégal aurait versé dans des pratiques d’une bassesse indigne d’un Etat. Ce faisant, c’est à l’honorabilité de la République du Sénégal que le communiqué belge s’attaque.

L’on s’interroge sur les conditions dans lesquelles les prétendues victimes qui justifieraient la prorogation de compétence de la loi Belge ont acquis la nationalité. Il est très embarrassant de lire dans le communiqué du gouvernement belge le concept de « citoyen belge d’origine Tchadienne ».

2/ LE DROIT SENEGALAIS NE PERMET PAS A LA COUR D’APPEL DE STATUER SUR UNE DEMANDE D’EXTRADITION EMISE CONTRE UN ANCIEN CHEF D’ETAT.

Sur ce point, la Belgique fait preuve d’un acharnement indécent à l’encontre du Président Hissein HABRE auquel elle dénie ses droits fondamentaux y compris celui qui en est le plus élémentaire consistant à gagner un procès et à bénéficier du respect et de l’exécution des nombreuses décisions de justice rendues en sa faveur :

Pour mémoire, le 28 novembre 2005, la Belgique avait saisi le Sénégal d’une demande d’extradition du Président Habré et, c’est cette même Chambre d’Accusation de Dakar qui avait rendu un Avis définitif d’une limpidité déconcertante pour le Royaume Belge, en déclarant notamment : « qu’elle ne saurait étendre sa compétence aux actes d’instruction et de poursuite exercés contre un ancien Chef d’Etat pour des fait commis dans l’exercice de ses fonctions ».

C’est pour cette raison que dans sa décision, la Chambre d’Accusation avait ajouté que « Considérant que Hissein Habré doit dès lors bénéficier de cette immunité et que ce privilège a vocation de survivre après la cessation définitive de la fonction de Président de la république quelque soit sa nationalité, en dehors de toute convention d’entraide……Considérant qu’il s’infère de tout cela, que la Chambre d’Accusation est incompétente pour connaître de la régularité de poursuite et d’un mandat d’arrêt s’appliquant à un Chef d’Etat » ;

Il est manifeste que depuis cet arrêt du 25 novembre 2005, la Chambre d’Accusation en a terminé avec « l’affaire Hissein HABRE », et les questions de compétence étant d’ordre public, cette Juridiction est désormais liée par sa propre décision.

C’est d’ailleurs dans ce sens que la Cour de Justice de la CEDEAO a, dans son arrêt rendu le 18 novembre 2010, nettement enjoint à l’Etat du Sénégal « de se conformer au respect des décisions rendues par ses juridictions nationales, notamment au respect de l’autorité de la chose jugée ».

Il est dès lors inique et indécent que la Belgique, qui ne manque aucune occasion pour reprocher aux Etats Africains la mal gouvernance et l’insécurité juridique, invite les institutions judiciaires Sénégalaises à se saborder et à entamer leur crédibilité en leur demandant de violer les décisions ayant acquis l’autorité de la chose jugée.

3/ LES PROCEDURES BELGES NE SONT QUE BASSE POLITIQUE

Il est manifeste que « l’affaire Hissein HABRE » est une affaire éminemment politique au sein même du Royaume, car le Sénat Belge réunit en session extraordinaire le 30 mai 2006, avait voté une Résolution politique sur proposition du gouvernement, et enjoint au Sénégal d’extrader Hissein HABRE vers la Belgique à défaut de toute poursuite, et ce après avoir pourtant pris connaissance de la décision rendue le 25 novembre 2005 par le juge sénégalais.

Cette politisation de l’affaire mérite d’être portée à la connaissance de l’opinion publique et des organisations de défense des droits de l’Homme, car elle fait irrémédiablement obstacle à toute extradition vers la Belgique d’après les règles qui gouvernent la matière.

Le 15 mars 2011, le Royaume de Belgique ayant repris sa demande d’extradition, le 18 août 2011 la Chambre d’Accusation de Dakar avait encore déclaré sans détour que « le Royaume de Belgique, par requête datée du 19 février 2009, a traduit le Sénégal devant la Cour Internationale de Justice relativement à la prétendue violation de son obligation d’extrader ou de juger.

Que ce contentieux est encore pendant devant cette haute Juridiction, qui seule peut trancher l’interprétation controversée entre les deux (02) Etats de l’obligation de juger ou d’extrader (…) d’où la demande d’extradition de la Belgique était irrecevable » ;

Encore une fois, l’on constate qu’il ne s’agit pas seulement d’une question de pièces non transmises comme le communiqué belge a voulu le faire comprendre, mais encore de saisine intempestive et désobligeante d’une juridiction nationale à laquelle on semble dénier toute autorité et dont on banalise la fonction.

Le Citoyen sénégalais, les autorités nationales sénégalaises, ainsi que toute personne éprise de justice sont sidérés de l’acharnement contre le Président Hissein HABRE. Surtout pour rappel, dès qu’il avait été saisi d’une plainte contre des américains et des Israéliens, le Royaume de Belgique s’était empressé de renoncer à sa loi sur la compétence universelle.

En tout état de cause, il y’a lieu de rappeler que SEM Hissein HABRE a été admis au Sénégal comme réfugié politique et officiellement il a reçu l’asile politique pour être conséquemment protégé par les Conventions et Traités internationaux sur les réfugiés politiques.

Le président Hissein HABRE n’a commis aucun acte compromettant sur sa terre d’asile et d’adoption, aucun fait de nature à justifier qu’il soit remis à quelque pays qui soit.

L’interprétation du droit international de la règle « Aut dedere, Aut judicare » a des limites objectives qui se heurtent à la souveraineté des Etats et à la règle tenant à la nationalité.

La Convention des Nations Unies contre la Torture contient elle même des contours qui imposent des limites à toute interprétation abusive qui dénierait à un Etat sa souveraineté.

Au demeurant, l’on ne peut que constater que les demandes répétitives et inlassables d’extradition de la Belgique qui se garde bien de respecter le principe de la réciprocité, troublent manifestement l’ordre public interne, décrédibilisent les institutions qu’elle invite à la mal gouvernance, et sapent foncièrement les fondements sur lesquels reposent la société Sénégalaise à l’aune de la lutte ultime pour la consolidation de ses acquis institutionnels.

Enfin, il est à souligner qu’aucune personne ne peut être extradée de la Belgique vers le Sénégal ou un pays d’Afrique et cela en vertu du droit interne Belge. Le Royaume n’a jamais été intéressé par un accord de coopération ou d’entraide judiciaire avec un pays africain pour échapper à la règle de la réciprocité.

Fait à Dakar, le 21 janvier 2012

Maître Ciré Clédor LY